Aurélie Pérez – 19 septembre 2016
J’ai fait la connaissance de Phuong Anh via LinkedIn et cette étudiante en design recherchait des personnes pour un questionnaire concernant son mémoire de fin d’études « Comment puis-je fuir sans laisser de traces ? »
Ce thème m’a tout de suite intriguée et j’ai accepté de participer à son projet. Voici les points abordés ensemble:
« Phuong Anh: Que signifie pour vous fuir (sur le plan symbolique, éthique, sociétal, etc) ? Qu’est-ce que la fuite évoque pour vous ?
Aurélie: Fuir c’est essayer d’éviter la confrontation, à une personne, à une situation, à soi-même. C’est à la fois un refus de voir les choses telles qu’elles sont mais aussi une protection car il est trop tôt pour que la personne aborde le problème actuel.
L’expression « fuir ses responsabilités » est la plus connue et elle est synonyme de lâcheté dans bien des cas.
Pour moi, par moments, il est nécessaire de fuir pour se protéger (situation violente, perturbante, besoin de réflexion, de poser les choses et de peser ses mots) mais appelle-t-on cela une fuite ? Parfois, certaines personnes s’enferment dans un comportement systématique de fuite. Dans ce cas précis, la personne n’évoluera pas car elle perd l’occasion de se remettre en question.
PA: Pour vous, l’action de fuir ne reflète-t-elle pas un refus de la société ? (Fuir pour trouver un monde meilleur, la fuite actuelle des réfugiés, etc.)
A: Je trouve la formulation de votre question inadéquate dans le sens où, forcément l’exemple des réfugiés est une quête de vie meilleure. C’est aussi un choix forcé car beaucoup préféreraient rester dans leur pays et ils savent que la Vie qui les attend sera dure puisqu’ils sont déracinés, sans possessions et dans des pays étrangers (barrière de la langue, problèmes d’intégration…).
Pour moi, un refus de la Société ne passe pas forcément par la fuite. On peut tout à fait vivre de manière intégrée socialement mais porter des projets et des valeurs différents. Il est possible de faire entendre sa voix et de participer à la Société de demain et donc de ne pas fuir.
Finalement, est-ce fuir ou choisir un endroit meilleur pour s’épanouir ? Prenons l’exemple des expatriés suite à une offre d’emploi. J’ai croisé beaucoup de Français qui souhaitaient plus de liberté dans leur travail et de la confiance en leurs capacités. Comme ils ne le trouvaient pas en France, ils ont accepté des offres d’emploi à l’étranger. Cela peut ressembler à une fuite et pourtant, c’est un choix conscient pour respecter ses propres besoins et pour se sentir vivant et utile !
PA: Pour vous, l’Homme laisse-t-il des traces sur son passage ? Si oui, quel genre de traces (physique, psychologique, numérique, etc.) ?
A: L’Homme laisse forcément des traces de son passage :
- physique : de par ses besoins naturels et malheureusement nous voyons le résultat de notre pollution sur la planète. Nous sommes aussi capables de belles choses avec les constructions architecturales (témoignages de l’évolution de l’Homme à travers les époques), l’art…
- psychologique : un simple mot peut pousser un Homme à donner le meilleur de lui comme le détruire sur l’instant et laisser des séquelles à vie. Les courants de pensée ont aussi permis de révolutionner le Monde dans tous les domaines.
Il y a une théorie connaissant ces formes de pensée mondiale appelées égrégores. A priori, nous serions tous les jours influencés dans notre Vie par le courant de pensée mondiale et, si 22% de la population mondiale pense quelque chose, ces 22% parviennent à faire changer le cours de pensée des autres 78%.
A ce jour, j’espère que nous allons bientôt atteindre les 22% de conscience mondiale pour créer un Monde meilleur prenant en compte les Hommes de tous les pays, la Terre et réussir à équilibrer besoins et ressources.
- numérique : sans tomber dans la paranoïa, nous savons bien que chacun de nos achats, mails, recherches Google…sont répertoriés et utilisés pour nous envoyer de la publicité par exemple donc, oui, sans aucun doute, nous laissons des traces !
- émotionnelle : pourquoi le différencier de psychologique me direz-vous? Parce que les émotions se transmettent aussi sans parler. Or, tous les jours nous laissons des traces émotionnelles sur notre passage. Nous sommes capables de faire rire une foule (rire communicatif), de faire bâiller la personne en face de nous, de faire pleurer quelqu’un juste en le prenant dans nos bras.
Pour moi, les émotions sont le moteur de l’Homme, d’où le choix de mon travail. On peut arriver à faire bouger des montagnes juste avec les émotions.
Une histoire orientale dit, je résume avec mes propres mots, « Écris ce qu’on t’a fait de mal dans le sable pour que les traces s’effacent avec le passage des vagues mais grave dans la pierre ce qu’on t’a apporté de positif pour le garder en mémoire pour toujours ! ».
Les émotions ont ce pouvoir d’effacer les traces en douceur pour laisser la place à la joie et au bonheur durables.
PA: Selon vous, est-il possible de fuir sans laisser de traces ? Si oui, comment ?
A: Alors cette question m’évoque forcément la question de l’espionnage ! Oui, je pense qu’il est possible d’effacer ses traces mais la vraie question serait pourquoi ? Car cela demande un travail énorme, une attention de chaque instant et cela signifie aussi que la personne a peur. Peur de quoi ?
On peut effacer ses traces et vivre toute sa vie dans la peur…ou l’on peut s’assumer et vivre en paix sous le regard de tous tout en gardant son jardin secret car, quoi qu’il arrive, on ne pourra jamais prendre votre liberté de penser et d’aimer.
PA: Selon vous, quelles seraient les raisons pour lesquelles un Homme souhaiterait fuir sans laisser de trace ?
A: Comme je l’ai écrit auparavant, cela sous-tend forcément des peurs qui peuvent être différentes selon les personnes. Quand il y a de la peur, il n’y a plus d’amour, d’amour de soi, des autres, manque de confiance par la même occasion.
Je vous conseille la lecture « Les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même » de Lise Bourbeau. Elle explique que chaque être humain porte en lui 5 blessures (trahison, rejet, abandon, humiliation et injustice). Ces blessures s’activent selon les situations et les personnes rencontrées.
Voici la blessure de rejet qui provoque un comportement de fuyant :
« Rejeter, c’est repousser quelqu’un, ne pas vouloir l’avoir à ses côtés ou dans sa vie. La blessure de rejet est très profonde et se met en place très tôt dans la vie de l’enfant. Elle touche, non seulement l’être en profondeur, mais aussi dans son droit d’exister. Selon Lise Bourbeau, la blessure de rejet est vécue avec le parent du même sexe.
Dans son livre, Lise Bourbeau précise que « le parent du même sexe a pour rôle de nous apprendre à aimer, à nous aimer et à donner de l’amour. Le parent du sexe opposé nous apprend à nous laisser aimer et à recevoir de l’amour. »
En réponse à ce rejet, la personne finit souvent par rejeter le parent qui lui inflige cette blessure. Malheureusement, à travers ce parent, c’est lui-même qu’il rejette.
Afin d’éviter sa blessure, l’enfant va se créer un masque, celui du FUYANT. ».
Un autre livre intéressant est « Au-delà de la peur » de Don Miguel Ruiz qui explique l’antinomie peur/amour.
Tout l’intérêt d’apprendre à se connaître est de pouvoir repérer nos mécanismes et de pouvoir vivre heureux, libéré des peurs, du regard des autres, de son propre jugement. C’est cela la vraie liberté !
PA: Avec le développement des nouveaux systèmes de traçabilité (GPS par exemples), des systèmes de surveillance, est-il possible encore de ne pas laisser de traces derrière soi ?
A: Comme je l’ai écrit question 5, je pense que c’est possible. Cela demande du temps, de l’organisation, une attention de chaque instant et surtout, cela vous marginalise car le mode de vie à adopter vous exclut forcément du modèle de Société classique. C’est un choix de vie à faire, et chacun ses choix de vie !
PA: Selon vous, se couper de la société permet-il de se retrouver, de retrouver son identité ?
A: Il est nécessaire d’avoir des temps de vie uniquement pour soi, pour se connaître, pour se ressourcer, pour ne pas être influencé…Jadis, on appelait cela l’ermitage. Les personnes décidaient de vivre un temps seul pour trouver leur voie et par la même occasion leur voix !
Dans la Vie, tout est question d’équilibre. Il est vital, je dis bien vital, d’alterner des moments de partage avec ses proches, ses collègues…et des moments d’introspection et de retour à soi.
Voici une magnifique chanson dont les paroles expliquent ce que le chanteur cherche dans ses moments d’introspection, c’est « Catch and Release de Matt Simons, prendre et laisser partir, c’est le cycle naturel de la Vie !
http://www.lacoccinelle.net/1038971-matt-simons-catch-release.html
PA: Etant coach professionnel, avez-vous déjà eu des clients ayant voulu fuir leurs responsabilités ?
A: (Rires) Tous ! C’est bien pour cela qu’ils prennent rendez-vous, inconsciemment, ils savent que quelque chose doit changer mais espèrent remettre le problème sur les autres…ou alors aimeraient changer sans changer car le changement c’est l’inconnu, et l’inconnu fait peur.
Les personnes ont toujours la réponse au fond d’eux-mêmes, ils viennent pour l’entendre d’une autre bouche et c’est là qu’il faut être vigilant. Un coach n’est pas supérieur, il ne détient pas la Vérité, il se doit de fournir une belle qualité d’écoute. La personne se sent alors entendue, voit un miroir dans le coach, se regarde enfin et accepte de regarder au fond d’elle-même…ou pas…
Quand un de mes clients fuit ses responsabilités, c’est comme s’il me demandait de « faire à sa place ». J’utilise souvent cette phrase : « Ne me posez pas des questions dont vous ne voulez pas entendre la réponse ! ». C’est aussi mon rôle de les mettre face à eux-mêmes, en douceur bien sûr.
Je les rassure aussi en leur disant que, pour l’instant, ils ne sont pas prêts. Le travail est donc de se préparer à voir la réalité. Il ne faut jamais brusquer une prise de conscience, on risque de générer de la peur et une perte de confiance. Le lien sera rompu et vous n’aurez aidé personne, un comble pour un coach !
PA: Pour vous, s’échapper, se couper du monde et s’isoler un moment de la société peuvent-ils être des moyens de se retrouver, de se ressourcer ?
A: Bien sûr ! Allez en Nature, lire, écouter de la musique, conduire sur une route interminable, peindre, danser, méditer, cuisiner, nager…autant d’activités que l’on peut faire seul si on le désire. On peut aussi décider de les partager.
La clef est dans l’équilibre, il faut un peu de tout dans la Vie pour une bonne santé mentale, émotionnelle et physique.
PA: Avez-vous déjà rencontré, au cours de votre carrière, des personnes ayant voulu tout recommencer à zéro ? Si oui, dans quel contexte ?
A: Je ne rencontre quasi que ce type de personnes. Il paraît que l’on attire ce que l’on est, peut-être viennent-ils à moi tout simplement car j’ai vécu cette situation et que je suis donc en mesure de les comprendre et de les conseiller.
Dans mon cas, j’ai changé toute ma vie, professionnelle et personnelle. Cela ne m’a pas posé de problème car je fais partie de ces personnalités dites « intenses » qui aiment le changement et qui le considère comme un défi. La difficulté est plutôt de ne pas basculer dans la dispersion des idées et des actions.
En général, mes clients ont plutôt la tendance inverse. Ils veulent changer mais ont peur des conséquences, de perdre leur sécurité (illusoire soit dit en passant !). Ils sont souvent rassurés de voir que c’est possible. Beaucoup sautent le pas une fois rassurés, d’autres ne sont pas prêts à faire les concessions ou sacrifices qu’un changement de Vie implique.
Car, il faut le préciser, pour saisir le nouveau, il faut forcément lâcher l’ancien et cela peut être dur pour certaines personnes, voire irréalisables. Une fois, une cliente m’a dit : « Je crois que je ne vais rien changer finalement car je ne suis pas heureuse, certes, mais je ne suis pas malheureuse non plus. »
Cela fait partie du travail d’un coach d’assister à ce genre de non-choix de la part de ses clients, mais un non-choix est un choix et il est nécessaire de le respecter. Nous ne sommes pas dans la tête des gens ni dans leurs émotions. Après tout, à leur place, ferions-nous mieux ? ».
Répondre à ce questionnaire est pour moi une contribution au changement du Monde et des mentalités. C’est un acte de Foi en un lendemain meilleur dans lequel plus personne n’aura à fuir. Alors je remercie Phuong Anh de m’avoir invitée !
Je terminerai ce questionnaire par la phrase qui était le fil conducteur de mon étude sur le bonheur au travail 2016:
« Soyez le changement que vous voulez voir dans le Monde » Gandhi