Aurélie Pérez – 18 avril 2016
« La meilleure des solutions vient toujours de l’équipe. »
« La vérité est sur le terrain. »
« Un manager doit créer une dynamique humaine et se demander vers quoi il emmène son équipe, est-ce que je les expose à un risque ? »
J’ai rencontré Christophe car nous soutenions le même projet collaboratif. Dès nos premiers échanges, je remarque la posture et la voix de mon interlocuteur car il est serein et il émet ce calme et cette confiance autour de lui.
Nous nous voyons la veille de mon départ pour HAW et l’entretien est à l’image de ma première impression. Christophe a 42 ans et il manage une équipe de 85 collaborateurs répartis sur 3 sites. Il travaille dans le domaine des assurances.
Aurélie : « Bonjour Christophe et merci de me recevoir pour échanger sur votre parcours et sur le bonheur au travail ! Alors justement, quelle est votre formation d’origine ?
Christophe : Je suis un autodidacte. J’ai eu mon baccalauréat et, après une première expérience professionnelle, je me suis retrouvé dans le domaine des assurances à 23 ans. A cette époque, nous faisions du porte à porte pour démarcher les gens et j’avais un secteur de HLM.
A: Ah oui ! Ce n’est pas ce qui est de plus facile et, finalement, ce ne serait plus trop possible actuellement ?
C: C’est très formateur comme expérience ! Effectivement, c’est un peu plus compliqué avec les digicodes…et puis les moyens de rentrer en contact ont changé.
A: Comment avez-vous évolué dans ce secteur depuis ?
C: J’ai évolué sur différents postes et à 35 ans, j’ai été chargé de manager une équipe dont la moyenne d’âge était de 55 ans ! De plus, cette équipe avait été managée « à distance » depuis quelques temps et n’avait plus l’habitude de fonctionner avec une personne présente régulièrement.
A: Quel challenge ! Vous avez l’air d’aimer les défis !
C: En règle générale, on me confie des équipes réputées « à problèmes » ou en phase de changement, lors de restructuration…du coup certains parient sur le temps qu’ils vont mettre à me faire craquer !
A: C’est amusant car, lorsque vous vous exprimez sur ce sujet, je ne ressens pas que cela vous impacte, vous semblez serein et réaliste…comme s’il y avait une solution à tout !
C: Pour moi la vérité est sur le terrain, pas derrière mon bureau et la solution, je ne m’en fais pas, on la trouvera. Un manager crée un climat de confiance et d’initiative. Il doit être en écoute active et accepter que la solution ne vienne pas forcément de lui. En fait, la meilleure solution vient toujours de l’équipe. C’est fini l’époque du manager donneur de leçons qui veut tout maîtriser !
A: Comment faites-vous pour instaurer ce climat de confiance et d’initiative ?
C: Une équipe doit avoir un but à atteindre, un projet commun même si chaque membre de l’équipe y adhérera sûrement pour des raisons différentes (argent, condition sociale, passion…). Il est nécessaire de prendre du temps pour expliquer le pourquoi car les membres de l’équipe doivent être en accord avec ce qu’ils font. Il faut aussi accepter en tant que manager que l’on ne peut jamais avoir toute l’équipe fédérée tout le temps…le facteur humain ne se contrôle pas. Mais quand j’ai réussi à leur donner la patate, ça c’est le bonheur au travail !
A: Avez-vous déjà eu des cas particuliers à gérer ? Je pense à des cas de stress au travail, harcèlement, violence, burn-out…
C: J’ai dû gérer une fois la présence d’une personne de type « manipulateur pervers narcissique » (MPN) dans mon équipe. Elle avait clairement une victime sur laquelle elle développait une emprise jusqu’à la déranger le weekend à son domicile.
A: Ah oui, la situation était allée très loin ! Et qu’avez-vous pu proposer ?
C: J’avais la charge de cette équipe depuis peu lorsque j’ai remarqué cette situation. C’est délicat à gérer car, finalement, les deux personnes vivent un équilibre, malsain et destructeur mais un équilibre tout de même. J’ai décidé de déplacer la personne MPN pour changer les habitudes et pouvoir la suivre de plus près et elle s’est mise en arrêt maladie. Elle n’est pas revenue d’ailleurs. La victime, elle, a mis du temps à se reconstruire mais elle y est parvenue.
A: Avez-vous eu des doutes sur votre décision ?
C: Bien sûr, surtout quand vous voyez les deux personnes craquer suite à cela ! Avec l’Humain, on n’est jamais sûr du résultat d’une décision mais je ne pouvais pas laisser cette situation en l’état. C’est aussi cela être manager, assumer ses responsabilités et je ne regrette pas la solution adoptée.
A: Et comment faites-vous lorsque les problèmes personnels des collaborateurs rejaillissent sur leur efficacité professionnelle ? Car, beaucoup de managers se posent la question de savoir jusqu’où ils peuvent et doivent intervenir.
C: Ce qui est de la sphère privée doit le rester…mais on ne peut pas non plus fermer la porte ! Prenez le cas d’un collaborateur ayant des soucis de santé par exemple. Il n’est pas légitime de poser trop de questions, on comprend vite qu’il a besoin de passer des examens, de temps aussi pour digérer tout cela. Le collaborateur peut alors poser des jours plus facilement ou on peut adapter ses horaires quelques temps. J’ai eu un cas de personne vivant un divorce difficile et c’est l’équipe elle-même qui a proposé de reprendre sa charge de travail pour qu’elle puisse avoir du temps et gérer la situation. Nous avons donc mis en place une ligne de conduite pour chacun et tout s’est bien passé.
Il est nécessaire de sentir la limite de la personne : jusqu’où nous laisse-t-elle aller et jusqu’où a-t-elle besoin d’aller ?
A: Quels exemples de solidarité et de management humain ! Et pour vous qui vous déplacez beaucoup entre les sites, comment faites-vous pour trouver un équilibre professionnel et personnel tout en conservant cette passion ?
C: Il faut poser des « non » fermes, comme une hygiène de vie. Lorsque je m’engage, je m’engage ! Par exemple, j’ai pour habitude de conduire une fois par semaine mes enfants à l’école malgré mes nombreux déplacements et j’y tiens ! Je ne travaille jamais à la maison, la qualité de présence est essentielle. Cela fonctionne car c’est un choix de vie pris par mon épouse et moi-même…peut-être que cela changera un jour mais pour le moment, cela nous convient !
A: Et bien merci Christophe pour ce bel exemple de management et d’équilibre de vie !